Le Sang de ma mère : Chapitre 1

Le Sang de ma mère : Chapitre 1

J’étais née. 

Il fallait maintenant me donner un prénom. La coutume autorise le père à choisir le prénom de ses trois premiers enfants. Mon père ne manifesta toutefois aucun n’intérêt pour la question, soit qu’il était encore abasourdi par la stérilité soudaine de sa jeune épouse, soit qu’il voulut adoucir la douleur de la jeune mère. Trois jours après ma naissance, je n’avais donc toujours aucun prénom. Devant le silence prolongé de mon père, la grande-mère de ma mère décida de m’appeler Setou. J’étais sa première arrière-petite-fille, il était donc normal que je porte son prénom. J’ai donc été toxola* à elle. C’était une petite femme active et joyeuse qui avait toujours quelque chose à dire ou à faire. Quelques jours avant son décès, elle allait encore puiser elle-même son eau au puits. Elle abordait la vie comme un jeu  permanent où son sourire enjôleur et son esprit vif lui assuraient toujours la victoire. La mort n’avait donc pu la saisir qu’à la dérobée, dans son sommeil. Sa disparition, prématurée par son caractère inattendu, étonna tous ses proches malgré le fait qu’elle abordait sa quatre-vingtième année. Elle était là depuis si longtemps, que sa présence au réveil était aussi certaine que celle du soleil. On se rendit soudain compte que Mama Sétou était, elle aussi, mortelle. Si la mort l’avait emportée elle, on ne pouvait donc plus donner chers de nos propres peaux. Mama Sétou avait été une femme qu’il suffisait de voir pour sourire et d’écouter pour aimer. Mama Sétou avait été une femme si prompte à rire de tout et d’elle-même qu’elle semblait ignorer sa grande beauté. Mama Sétou avait été une femme qui avait pris soin de ses cinq enfants, puis de ses treize petits-enfants. Elle aurait aussi pris soin de ses arrière-petits-enfants si la distance d’abord, puis la mort, ne s’en étaient pas mêlées. Ce prénom était une manière de prendre soin de moi malgré son absence. Le prénom Setou se transmettait chez nous de grand-mère à petite-fille depuis si longtemps qu’il était un second nom de famille. Ce sont en tout cas les explications que j’obtenais de ma mère. J’avais incessamment besoin de m’assurer que ce prénom n’était pas une vilaine blague de sa part. J’étais toujours affreusement gênée lorsque je devais confesser mon prénom. J’avais un prénom de vieille. Les camarades de ma classe me le répétaient sans cesse dans leurs moqueries. Je ne pouvais même pas chercher du soutien auprès des adultes qui en massacraient la prononciation. Les jours de rentrée ont d’ailleurs toujours été une source de douleurs pour moi. Il faut dire que mes parents ont eu la maladresse tragique d’écrire mon prénom « Setu » en se fiant à l’orthographe anglaise où le son « ou » peut ‘écrire avec un « u » . Tous les enseignants, et plus tard, les employés administratifs en tout genre, que j’ai connu, firent inévitablement la grimace avant de s’engager aventureusement dans le déchiffrement  de mon prénom.

—SSee-Se… Sé, Sétuuu ? Setû ?

Devant mon timide « oui » étouffé au fond de la classe, la maîtresse avait alors ajouté avec plus d’assurance « Sétû ? Il est là Setû ? ». Quand on s’était aperçu que j’étais une fille, les murs de la classe tremblèrent de rire. « Je changerais de prénom quand je serais grande« , affirmais-je ce soir-là à ma mère, les yeux débordants de larmes. Ma hocha la tête, en me disant que sa grand-mère aimait son prénom et qu’elle en était si fière que seuls ses petits-enfants avaient le droit de lui donner des surnoms. Oui, mais à moi, à quoi me servait que la seule personne au monde à aimer mon prénom soit morte ? La petite fille, que j’étais, détestait ce prénom et détestait encore plus Mama Sétou de m’avoir frappée de cette malédiction.

Baba qui n’avait jusque-là pas semblé écouter la conversation, déclara soudainement à ma mère, tout en me regardant :

Toi, t’as toxola ta grand-mère, mais moi aussi il faut que je toxola les gens de ma famille ! Ma mère me presse d’avoir des enfants. Je veux des enfants.

Je ne compris pas vraiment alors toute la violence de ses paroles. Seul le ton en trahit le reproche adressé à moi. À ma mère. Le léger sourire de Ma se voila aussitôt d’inquiétude. Elle dévisagea mon père, suspendue à ses lèvres. Mon père quant à lui ne détacha pas son regard de moi. Un regard incompréhensible. Muet. Il me semble que c’est la première et la dernière fois de sa vie qu’il me regarda vraiment.

*Toxola  [torola] : mot qui désigne le fait de nommer un enfant d’après une autre personne. Cette pratique permet de signifier son respect pour la personne choisie et d’en faire un modèle.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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