Quand on regarde les films et séries d’Omar Sy, une constante saute aux yeux : ces femmes blanches, minces et aisées à ses côtés. Qu’il incarne un acteur à succès dans French Lover ou le gentleman cambrioleur dans Lupin, ses compagnes à l’écran sont quasi exclusivement des femmes blanches. Ce couple mixte, déjà interrogé par Mariama Bâ dans Un chant écarlate, souligne une absence systématique : celle du couple noir. Pourquoi les femmes noires sont-elles exclues des récits amoureux autour de l’acteur noir le plus connu de France ?
Tout le monde préfère les Blondes
Omar Sy les aime blanches, fines, blondes et élégantes. Mais il n’est pas le seul. Cet idéal féminin est présenté comme une évidence. Virginie Despentes l’écrit dans King Kong Théorie :
L’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler.
Cet idéal s’est construit en Europe, au fil des siècles, avant de s’imposer au reste du monde par le colonialisme et les industries culturelles. Résultat : on retrouve cette figure de la blonde partout, de la poupée Barbie aux publicités, jusqu’aux films. Elle devient le synonyme de la femme désirable. Les autres doivent s’adapter : mincir, s’éclaircir, lisser leurs cheveux, bref, s’efforcer de se rapprocher de Margot Robbie.
À Hollywood, l’idéal s’est élargi avec la brune Audrey Hepburn, puis des beautés dites exotiques comme Salma Hayek ou Halle Berry. Mais ces exceptions ne remettent jamais en cause la norme initiale : les actrices non-blanches ne décrochent des rôles romantiques que si leur beauté est jugée exceptionnelle et reste proche de la norme. À l’inverse, pour les actrices blanches, l’exigence est moindre. On l’a vu avec Adèle Exarchopoulos, encensée pour son rôle dans L’Amour Ouf, parmi les films incontournables de 2024, alors qu’une actrice non-blanche aurait dû correspondre à des standards irréprochables pour jouer un tel rôle.
De plus, il faut noter que les rôles proposés ne sont pas ceux proposés aux autres. Aux blondes, brunes, rousses, les romances sentimentales. Dans la filmographie d’Omar Sy, les femmes blanches incarnent la romance sérieuse, la respectabilité et l’ascension sociale. Ces femmes, parce que blanches, participent toujours à l’éducation de l’acteur. On le voit de manière frappante dans Lupin. Les femmes, de préférence métisses même quand il est au Sénégal dans Yao, sont des Jezabel. Elles héritent du rôle de la tentatrice exotique, hypersexualisée, destinées à assouvir ses fantasmes.
Pas de Noires, pas de problèmes
Les personnages incarnés par Omar Sy vivent souvent des romances. Mais jamais avec des femmes noires. Dans ses films, il joue l’homme charmant mais immature, que vient tempérer une compagne blanche, sérieuse et bourgeoise. La romance est douce, innocente, romantique. Or, les femmes noires n’accèdent que rarement à ce type de rôle en France.
Assignées à l’image de la femme agressive, masculine, vulgaire ou pauvre, elles ne sont pas choisies pour incarner la délicatesse de la bourgeoise française. Quand elles deviennent le love interest, elles sont hypersexualisées ou associées à la délinquance. Même dans les comédies romantiques adolescentes comme Forever, l’héroïne noire se lance dans une fellation, au premier rendez-vous, dès le premier épisode.
La romance avec un homme noir ne fait rêver à l’écran qu’au bras d’une femme blanche. Le couple interracial devient une mise en scène du contraste, un symbole d’ouverture d’esprit. Pourtant, sous couvert de colorblindness (“l’amour ne voit pas les couleurs”), ces productions renforcent en réalité les stéréotypes. Dans French Lover, la sœur de l’héroïne, Marion, ne cesse de sexualiser Omar Sy. Selon elle, “il pue le cul.” De plus, elles font la promotion que d’un certain profil d’homme noir. En dépit de l’importance de la filmographie d’Omar Sy, et de la diversité de ses rôles, il incarne toujours le Noir acceptable : souriant, attendrissant, jamais menaçant. L’éternel enfant, au sourire « Bon Banania » qu’on peut présenter à la belle-famille.
La maison du maître
Le choix amoureux d’Omar Sy n’est pas qu’une question d’amour. En effet, il n’a pas de partenaire noire, mais il n’a pas non plus de sœur, de cousine, de mère ou d’amie noire. Dans les 60 productions de cet acteur noir, on ne compte qu’à de rares occasions des femmes noires dans son entourage, même en figuration. Elles ne sont donc pas seulement exclues des récits amoureux. Qu’elles soient mortes, en cavale ou juste omises, il s’agit d’effacer la présence des femmes noires de la vie des hommes noirs. Avec elles, les réalisateurs excluent l’existence de l’amour dans la vie des hommes noirs. Impossible d’imaginer un couple noir amoureux ou une mère aimante pour ceux qui symbolisent la violence et la bestialité.
Les femmes noires ne sont pas les seules absentes. De manière générale, Omar Sy subit un encadrement blanc. Il est le plus souvent le seul Noir. Il n’a pas de famille. Ses amis et ses proches sont Blancs. Même père célibataire dans Demain tout commence, il se débrouille encore avec un ami, blanc. Dans French Lover, on découvre la famille élargie de Marion, quand Abel Camara est orphelin, comme dans tous ses films. Le refus de représenter plusieurs personnes noires à la fois est courant dans les médias. Il signale que la représentation se limite souvent à utiliser un token. Ce fonctionnement permet, selon Malcolm X, d’annihiler la portée subversive de la présence noire. Le personnage noir n’est plus dangereux. Il est domestiqué par les personnages blancs qui lui permettent de s’assimiler au milieu blanc.
L’effacement des familles noires est donc une manière d’entretenir les discours racistes sur les personnes noires. Elles réduisent leur existence à celle qui sont reconnue et divertissante pour le regard blanc. L’enfance et l’amour interracial des personnes noires n’en font pas partie. Or la représentation de ces récits serait une manière d’affirmer l’humanité des personnes noires. L’absence des femmes noires dans les films d’Omar Sy n’est pas une simple erreur de casting. Elle est le symptôme d’un cinéma français encore prisonnier de ses biais racistes et sexistes.
Rester à sa place
Omar Sy sort toujours avec des Blondes pour rester à sa place d’acteur noir dans un cinéma blanc. Cette situation est donc problématique. Il participe au renforcement des stéréotypes racistes et à l’invisibilisation des femmes noires. Cette invisibilisation n’est pas qu’une question de représentation : elle limite aussi les opportunités professionnelles des actrices noires, cantonnées à des rôles stéréotypés de nourrices, d’amies ou de victimes.
Ce mécanisme relève de la misogynoir, ce sexisme spécifique qui s’exerce à l’encontre des femmes noires. L’absence de couples noirs et de femmes noires révèle un refus d’imaginer la femme noire comme désirable, aimée et aimante. Elle traduit aussi la difficulté de concevoir l’homme noir en dehors du regard blanc, comme sujet autonome de sa vie amoureuse et familiale. Ces récits existent pourtant, pour les découvrir il faut s’aventurer dans les romances nigérianes de Chimamanda Ngozi Adichie.


