« T’es de quelle origine ? » Aucun Noir en France n’échappe à cette question. Elle sous-entend que nous ne sommes pas Français. Elle suppose une incompatibilité entre la couleur de peau noire et la nationalité française. En ce sens, cette question en entraîne d’autres, plus intéressantes. Pourquoi être Noir et Français serait incompatible ? Est-il possible de concilier l’identité noire et française ? Cette réflexion est indispensable pour comprendre sa place en tant que Noir dans la société français. Elle est justement au cœur de l’actualité où les débats sur l’identité nationale font rage. Or pour y répondre, il convient d’interroger les raisons de notre présence sur le territoire français.
Ma mère patrie est un colon
« J’ai été colonisé par la France. » Cette assertion est de la documentariste et scénariste Adila Bennedjaï-Zou. Elle en fait l’objet de sa série documentaire Heureuse comme une Arabe en France où en quatre épisodes. Elle y effectue des rencontres afin de comprendre la relation des immigrées arabes avec la France. Sa conclusion est que la « beurette » qui squatte les films pornos n’est que l’héritière des prostituées dans les bordels de la période coloniale. La perception des femmes arabes de la France a certes évolué. Mais l’héritage de la colonisation reste tout aussi central. La documentariste l’exprime avec justesse à plusieurs reprises sur par exemple la langue arabe et la sexualité : être colonisée, « c’est ne pas souffrir de ce que l’on m’a enlevée, voire même y renoncer de mon plein gré. »
Son propos peut s’appliquer à la situation des Noirs en France. Ils ont été non seulement, mais aussi victime de la traite transatlantique. Les stigmates de cette histoire violente sont associés à la couleur de peau noire, tout en évitant le sujet. Or cette histoire n’est pas passé puisque la France exerce encore une domination politique, économique et culturelle en Afrique. Sa Françafrique. Les ex-colonisés ont donc été ironiquement contraints de se réfugier vers la terre du colonisateur.
Mes ancêtres ne sont pas les Gaulois
L’histoire entre la France et Noirs s’est écrit dans la douleur. Dans ce contexte, se déclarer français, signifie trahir ses origines. D’ailleurs les premières générations d’immigrants africains viennent en France avec l’idée d’un retour éminent chez eux. Ils ne font que passer. Cependant, dès la deuxième génération d’immigration, il est indéniable que la greffe sur le sol français a prise. L’école de la République a accompli son rôle, là où des parents n’avaient pas de stratégies de transmission culturelle. Pire, les Noirs sont encouragés à se dissocier de la culture des parents, jugée exotique ou barbare.
Les cultures africaines, voire noires, sont toutes confondues en une seule. On parle d’accent africain, de cuisine africaine et de vêtements africains. Cette prétendue culture africaine est représentée de manière négative dans les livres, les films, les journaux… Il en ressort que les Africains sont des barbares, pauvres et étrangers. Ce n’est que la version moderne des préjugés et stéréotypes durant la période l’esclavage. À ce titre, les Noirs sont tentés de se distinguer de ces préjugés. Montrer patte blanche. Les Antillais rappellent qu’ils sont Français. Les Africains qu’ils ne descendent pas d’esclaves. Les Français noirs qu’ils ne sont pas des bledards, eux. Mais on ne se défait pas d’une couleur de peau comme d’un boubou. Le racisme systémique empêche d’être autre que Noir. Les violences policières, les discrimination à l’embauche et au logement, entre autres, rend difficile de sentir Français.
Les Français de papier
Pas vraiment Français, mais pas non plus Sénégalais, Malien, Gambien… Quand les Français noirs se rendent dans le pays de leurs parents, ils découvrent qu’ils ne sont pas que des Français de papier. Aux yeux de la population locale, la couleur de peau ne suffit pas pour s’intégrer. Ils voient les différences culturelles, ainsi que les privilèges de ces Français noirs. S’ils n’y expérimentent pas un racisme systémique, ils ne sont pas considérer comme des Africains. Il est ainsi courant d’entendre dans les textes des artistes français noirs le sentiment d’être apatride.
Dans une dimension moindre, les Français originaire d’Afrique ont un sort similaire aux Antillais et aux Afro-Américain. Une terre perdue et une terre d’accueil hostile. Ils grossissent les rangs de la diaspora noire, tiraillée par un questionnement identitaire. Certains vont chercher à revendiquer le pays d’origine, à travers des vêtement, une langue, etc. En France, ils seront accusés de communautarisme. D’autre vont choisir l’assimilation à la culture française, mais sans parvenir à transcender le racisme. La meilleure réponse est celle donnée par Léonora Miano : les Français noirs sont des Afropéens, ces Africains que l’immigration économique amène à vivre en Europe.
Les citoyens du monde
Le dilemme de la diaspora noire est un faux dilemme. Il se tranche comme le nœud gordien. Les Français noirs sont pleinement les deux : à la fois Français et héritier de l’histoire noire. Ils créent une nouvelle culture, hybride. Nous sommes les Third Culture Kids selon la théorie des sociologues David Pollock et Ruth Van Reken. Dans son autobiographie Ne Reste Pas à Ta place, Rokhaya Diallo écrit à ce sujet :
« Les enfants qui ont été élevés dans une culture différente de celle de leurs parents. Cela les rend capables de se mouvoir d’une culture à l’autre et de créer un mélange de ces cultures : une troisième culture. »
Cette culture métissée a déjà prouvé sa fécondité au niveau artistique. Les Français noirs peuvent porter un regard à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. De plus, l’expérience diasporique crée une solidarité entre immigrés et enfants d’immigrés qui transcendent les nations. Cette cohabitation enrichie davantage cette 3ème culture. Les néologismes dans la langue française en est le fruit. Nul doute que les Français noirs peuvent être un véritable atout pour la France et l’Afrique. L’économiste Felwine Sarr présage que la diaspora noire jouera un rôle clef dans l’avenir continent africain et au-delà de ses frontières, en véritable citoyens du monde.
1. Adila Bennedjaï-Zou, Heureuse comme une Arabe en France, réalisée par Anne Pérez, diffusé sur France Culture, en mai 2019.
2. Rokhaya Diallo, Ne Reste Pas à Ta Place, éditions Marabout, 2019, Paris, p. 32.



Très bel article! Beaucoup de personnes pensent comme ça, et tu as mis des mots à ces pensées.
Merci!