Le Sang de ma mère : Chapitre 2

Le Sang de ma mère : Chapitre 2

Je n’ai pas décidé ça parce que j’en ai envie… C’est vraiment parce que je n’ai pas le choix.

Moi, je l’ai peut-être ?

Je sais que ce n’est pas de ta faute. Est-ce que je t’ai déjà fait des reproches ? Même quand tu n’as plus voulu retourner chez les docteurs pour qu’ils essayent de te guérir ? Je t’ai forcé ?

Je ne veux plus voir de docteurs pour ça ! Jamais ! Eux-mêmes ne savent même pas ce qu’ils font. Je ne veux plus ! répliqua ma mère dans un cri étouffé. Les larmes retenues chargeaient sa voix et ses yeux d’une vague mélancolie. Je me retins de courir la serrer dans mes bras. Je savais que je n’aurais pas dû me trouver là. Ils avaient oublié ma présence, et si je la leur rappelais, ils m’enverraient dans ma chambre. Je devais rester auprès d’elle. Mes larmes se mirent silencieusement à couler.

Oui, j’ai bien compris cela depuis longtemps. Mais je ne te parle pas que des docteurs des Blancs. Tu as refusé d’essayer aussi nos médicaments à nous. La femme à Diakité aussi ne pouvait pas avoir d’enfants et avec des roukias, elle en a eu. Gnouma… Tu vois Gnouma Diaby ?

Il regarda enfin ma mère. Elle ne lui répondrait pas, peu importe qu’elle connaisse ou non cette Gnouma Diaby.

Hé bien, reprit-il irrité par l’hostilité de ma mère, elle a vu la dame, tu sais la dame où je t’ai proposé plein de fois d’aller voir à Belleville. Elle lui a donné des invocations à lire et des mélanges à boire, et au bout de trois ans, elle a eu des jumeaux ! Deux petits garçons !

Un sourire tendre, presque gourmand, se dessina sur ses lèvres à l’idée de deux bébés joufflus, riant joyeusement. Agacée à son tour, ma mère souffla et le toisa avec le souverain mépris propre à toutes les femmes jalouses.

Tant mieux pour elle. C’est Allah qui donne. Il m’a donné à moi, une magnifique fille !

Se réfugier derrière le Verbe divin permettait à ma mère de mettre fin à toute discussion désagréable. Élevée à des hauteurs inaccessibles aux hommes, toute parole devenait un murmure futile pour elle. Mais cette toute-puissance, aussi sacrée qu’elle s’imposait à moi, n’impressionnait pas mon père. Au contraire, à ses yeux, elle n’était que poussière et prétention. Il la dispersa d’un souffle. Lui seul pouvait rendre ma mère, alors si grande que sa tête reposait sur les sept cieux, plus petite que moi. Qu’avait-il à ne pas la craindre ? Je ne supportais pas son audace.

Le premier éclat de voix fut pour Papa :

Si tu acceptais d’être plus endurante, Il t’aurait donné plus !

Non, je te dis que je ne peux plus avoir d’enfant ! Je ne peux plus !

Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ? Il y a en toi du mauvais ! Moi, j’ai été patient avec toi ! Très patient ! Un autre que moi aurait depuis longtemps était plus dur à ton égard ! Je ne peux pas faire autrement. Elle est enceinte.

Vas-y ! Fais-la venir ta femme ! Je t’en ai jamais empêché ! Insha’Allah qu’elle te donne que des gros jumeaux !

Elle éclata en sanglots. La colère de mon père, comme toute colère lorsqu’elle a terrassé son ennemi, s’apaisa si vite qu’elle sembla n’avoir jamais existé. Baba alla s’asseoir à côté d’elle. Il passa le bras autour de ses épaules, et commença à la bercer doucement. Avec une voix pleine de caresses, il murmura presque :

Rougegi, toi aussi… Même pour la petite, ce n’est pas sain de grandir toute seule, tu sais. Qui sera à ses cotés pour quand il faudra nous enterrer ?

Ma ne répondit pas, ni même ne releva la tête, enfouie dans ses bras. Il continua à lui parler ainsi longtemps. Toute la nuit peut-être. Je ne sais pas. Dès les premières larmes de Ma, je me dirigeai vers ma chambre.

Le lendemain, mes parents s’étaient réconciliés. La dispute, devenue irréelle, s’éloignait dans l’entortillement incessant des jours et des nuits. Je l’oubliai moi-même complètement, jusqu’au jour où Ma m’annonça une grande nouvelle.

On part en dans notre pays durant les grandes vacances. Tu vas enfin rencontrer ta famille.

À cet instant, cette soirée agitée me revint en mémoire.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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