La Petite Sirène : le colorblind des Noirs

La Petite Sirène : le colorblind des Noirs

Pourquoi parler de Petite Sirène noire est dangereux ?

« La Petite Sirène est maintenant noire. » Cette nouvelle a provoqué beaucoup de débats où depuis la sortie de la bande-annonce de l’adaptation du célèbre conte d’Andersen. Or si c’est la chanteuse et l’actrice afro-américaine Halle Bailey qui joue le rôle de l’héroïne, parler de Petite Sirène noire est problématique.

Les personnes métisses appartiennent en toute logique pleinement à toutes les communautés dont elles sont issues. Si elles sont métissées noires, elles sont donc noires. Toutefois, les personnes métisses noires ne sont considérées que comme noire, autant par la société française que par elle-même. Cette vision est héritée du one-drop rule, une règle de l’Amérique esclavagiste qui considère comme noire toute personne avec une goutte (one-drop) de sang d’un Noir. Cette règle permettait d’un côté de limiter l’accès au statut de blanc, qui se définit par sa pureté. Il fallait être uniquement blanc pour se dire blanc et gagner de ce fait sa liberté. D’autre part, cette règle élargie l’étendue de la communauté noire, dont le sang est au contraire une tare qui altère tout. À l’époque, cette règle préserve en même temps la main-d’œuvre servile menacée par les naissances nées des relations et des viols interraciaux. Ainsi, le one-drop rule est une règle raciste enracinée dans le passé esclavagiste. La France, partageant ce même passé avec les États-Unis, applique également cette règle.

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De nos jours, malgré la diffusion des théories anti-racistes, le one-drop rule n’est pas remis en question. Là encore, la France imite les États-Unis sur ce chapitre. Sur le sol américain, l’esclavage, puis les lois ségregationnistes de Jim Crows, ont dessiné les contours de la communauté afro-américaine. Une communauté à la fois pleinement américaine et pleinement consciente d’appartenir à la diaspora noire, nous expliquait James Baldwin dans Personne ne sait mon nom. Or, ce sont les images de cette communauté noire aux carnations variées qui sont érigés en modèle dans le monde. En France y compris. Nous sommes particulièrement sensibles aux films, aux séries et clips afro-américains puisque l’universalisme ambiant empêche la mise en avant de la diversité de la population française. Toutefois, les personnes noires sur l’Hexagone ne forme pas une communauté. Certains sont issus du continent africain, de la première ou deuxième génération. Ils sont à ce titre attachés à la culture de leur pays d’origine : un Sénégalais n’est pas un Congolais et vice versa. D’autres sont issus des Antilles avec une culture créole, encore liée à l’Afrique, mais aussi propre. Néanmoins, des discriminations communes et une même culture africaine créé une solidarité noire. Les personnes métisses ont donc tendance à s’identifier comme noire. Elles sont également vues uniquement comme noire par le reste de la communauté noire en France. Alors que sur le continent africain, les personnes métisses sont considérées comme blanches. Il est probable que l’absence de représentation dans les médias a habitué les Noirs français  à s’identifier à toute personne s’approchant de leur physique. L’identification aux personnes métisses va de soi.

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Quand Beyonce, Will Smith ou Barack Obama sont qualifiés de noirs, personne n’a envie de les contredire. En particulier les personnes noires qui comptent dans leurs rangs peu de personnalités jouissant d’une considération internationale. Cependant, si la représentation de la communauté noire se cantonne aux personnes métisses, c’est justement à cause de l’élargissement de la définition de l’identité noir.  En effet, si le one-drop rule permet d’englober sous le terme femme noire aussi bien Meghan Markle que Viola Davis, la société n’est pas aveugle pour autant aux couleurs. C’est là toute l’hypocrisie du colorblind. On fait mine de ne pas voir les couleurs de peau, mais au moment d’octroyer un poste, un appartement, etc. : la couleur revient sur le devant de la scène. À l’époque, dans les Antilles françaises, toute une catégorisation des personnes noires selon le degré de carnation noire a vu le jour : mulâtre, quarteron, chabine… Aux États-Unis aussi les dark-skin sont différenciés des light-skin. Cette catégorisation raciste permettait d’effectuer une hiérarchie où plus une personne était claire, plus elle bénéficiait de privilèges. C’est le colorisme. Il perdure dans toutes les communautés, y compris blanche : plus une femme est claire plus elle est considérée comme féminine et plus un homme est foncé plus il est considéré comme viril. Cette logique se vérifie en particulier derrière nos écrans. Les rôles de personnages noirs masculins sont principalement attribués aux hommes noirs et les rôles de personnages noirs féminins aux femmes métisses. Les femmes noires sont donc les principales victimes du colorisme. L’absence de représentation signifie aussi moins d’opportunité d’emploi.

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L’invisibilisation des femmes noires pourrait être un problème indépendant des femmes métisses. Néanmoins, d’une part la définition actuelle de l’identité féminine noire réduit les opportunités d’emploi des femmes noires au profit des femmes métisses. D’autre part, les femmes noires sont encourager à s’identifier aux femmes métisses.  À ce titre, la multitude de vidéos sur les réseaux montrant des petites filles noires et métisses s’extasiant devant la bande-annonce de La Petite Sirène est éloquente. Elles disent toutes que Halle Bailey est noire comme elles. Mais elles ne lui ressemblent pas toutes. Elles n’ont pas toute sa carnation, ses traits ou ses cheveux, les dreads mis de côté. Pour s’en approcher, elles seraient contraintes d’utiliser des produits éclaircissants et défrissants. Et pourtant, la société n’hésite pas à fustiger les femmes noires qui cèdent à ces pratiques. Présenter ainsi, l’adaptation de La Petite Sirène perd de son caractère révolutionnaire.

Les personnes noires métissées font partie de la communauté noire. Mais une femme métisse est une femme métisse. Une femme noire est une femme noire. Faire semblant de ne pas le voir, c’est fermer les yeux sur les réalités sociales derrière chacune de ces identités. C’est aussi entretenir le colorisme au sein de la société et de la communauté. Il faut faire un choix entre se plaindre du colorisme et labelliser comme femmes noires toutes femmes bronzées. Mais le mieux reste de mettre cet héritage derrière nous pour Back to the future

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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