This is Marianne

This is Marianne

Habituellement les livres dont je te parle, ce sont les livres que j’ai aimé. Mais cette fois-ci, je ne vais pas te parler de ce livre parce que je l’ai aimé. Si j’ai envie de te parler de Marianne et le garçon noir, c’est parce que ce livre m’a profondément dérangé. Oui, dérangé ! Toutefois, entendons-nous bien, j’utilise le terme « déranger » dans le bon sens du terme. Dans le sens où il m’a jeté sous les yeux des réalités que je n’avais, jusqu’ici, qu’aperçu discrètement. Il a soulevé en moi des questions jamais formulées. Il a aussi réveillé ma vieille colère noire toujours prête à s’enflammer. Tu l’as bien compris, ce livre à eu une forte charge émotionnelle pour moi. Il a vraiment été lourd à lire. Pourquoi ? Parce qu’il traite de la relation de la France et de ses fils issus de l’Afrique et des Antilles, autour d’une question : qu’est-ce que signifie être un homme noir en France aujourd’hui ?

Je n’avais jamais lu de livre traitant d’un tel sujet. Je n’aurais certainement pas eu l’envie d’acheter un tel livre, si l’écriture d’un mémoire sur Maya Angelou n’avait pas remué en moi tout un réseau de questionnements identitaires, et surtout si je n’avais pas écouté Léonora Miano exposait à la radio le projet de son livre. Très vite, la célèbre écrivaine évoque l’affaire Théo (le contrôle policier qui tourne au viol d’un jeune homme de 22 ans) à l’origine de son initiative de réunir dans un livre le témoignage de plusieurs Français noirs. Alors que cette affaire est déjà lointaine pour moi, une question m’effleure soudain. Et si ce n’était pas une exception ? Et si c’était une réelle menace qui plane au-dessus de chaque homme noir ? Même au-dessus de mes frères ? De mes cousins, de mes neveux ? Tu me trouveras peut-être un peu trop naïve, mais à l’époque, je voyais la violence policière davantage comme un problème états-unien que français. Bien sûr, j’ai déjà à plusieurs reprises assisté au contrôle inopiné de petits collégiens de mon quartier par de grands méchants policiers, mais je ne voyais pas cela comme bien grave.

 Je classais ça au même niveau que « le vigile qui s’obstine à te suivre toi et uniquement toi dans les rayons du magasin » : supportable bien qu’insultant et énervant. Mais je m’étais trompée. C’était plus profond que ça. Beaucoup plus. Je le comprends dès les premières pages :

« En France, les brutalités policières – assorties ou non d’injures racistes –, la surveillance constante, prennent vite des allures colonialistes, faisant du groupe minoré, des colonisés de l’intérieur. Pour les hommes la menace est constante. » (Léonora Miano, Marianne et le garçon noir, Pauvert, Paris, 2017, p. 13.) Les mots de Léonora Miano sont d’emblée incisifs et troublants. Encore plus lorsqu’elle poursuit par la traduction d’une réflexion de James Baldwin dans No Name in the Street : 

« Que des hommes éprouvent l’impérieuse nécessité d’en avilir d’autres – tout simplement parce que ces derniers sont eux aussi des hommes – est une vérité que l’histoire nous interdit d’examiner. Et il est absolument certain que les hommes blancs qui ont inventé la grosse queue noire du négro, restent tourmentés par ce cauchemar et sont encore, pour la plupart d’entre eux, condamnés à tenter de s’approprier cette queue, d’une manière ou d’une autre… » Ces propos éclairent quant à la signification du geste de l’homme blanc que saisit tout d’un coup le besoin d’introduire un bâton télescopique dans le corps d’un jeune Noir, afin de contrôler son identité. (Léonora Miano, Ibid, p. 14-15.)

Les contours d’une masculinité noire fugitive, mise à prix s’esquissent. Les témoignages qui suivent donnent toute leur coloration à ces affirmations. On peut lire le récit d’une balade en bus un dimanche soir qui tourne au drame. Un garçon de 13 ans et son grand-frère sont d’abord insultés par trois hommes et une femme sous les yeux des autres voyageurs, puis tout simplement tabassés. On peut également lire le récit d’une arrestation musclée d’un jeune homme qui demande à être vouvoyé par les policiers, et celui des déboires sentimentales d’un homme qui a longtemps joué sur les stéréotypes négrophiles pour séduire, jusqu’à se prendre lui-même au piège.

De pages en pages, je découvre différents visages, différentes cicatrices et espoirs. Les courtes histoires (une quarantaine de pages maximum) s’enchaînent dans un apparent désordre.Ces auteurs ont écrit, sans se consulter, sans se connaître même pour certains. Chacun raconte sa vérité. Pourtant pas de cacophonie. Il y a au contraire une profonde harmonie. L’organisation d’abord : les textes vont du plus détaillé au plus laconique, du plus formel au plus déconcertant.Nos pieds décollent du sol peu à peu. Une idée persistante ensuite : le corps noir. Tout revient constamment au corps, car c’est le fond du problème. Un corps brutal, bestial, trop masculin. Alors il faut l’apprivoiser par la force, l’émasculer presque pour qu’il reste à sa place. Sa place, ce sont les terrains sportifs et les scènes de théâtre où il met sa force au service du divertissement. Loin, bien loin de l’arène politique et journalistique où réside le vrai pouvoir. Est-ce un hasard si les ministres issus des minorités raciales sont toujours des femmes ?

Mais je m’égare, reprenons la lecture. Très vite, le stade du simple témoignage est dépassé. Pas besoin ici d’experts en blouses blanches pour nous expliquer que Marianne maltraite ses enfants illégitimes. Les auteurs se font experts de leurs propres vies. Les textes du chanteur Elom 20ce et du comédien Gaël Faye me parlent particulièrement à cet égard. L’un énonce un véritable programme politique autour d’une restauration de l’image de l’Afrique, notamment de ses langues. L’autre compose un texte fragmenté qui me rappelle les textes de rap : dans son rythme, dans sa pudeur pour dire les blessures et dans son affirmation fière de soi. Son texte résume l’esprit de l’ensemble du livre.

 

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Je pensais lire le témoignage de victimes brisées, mais je lis au contraire le destin d’hommes indemnes. Des artistes qui ont réussit à se construire et à se définir par eux-mêmes.

Je referme donc le livre avec le sentiment qu’il y a urgence à changer nos représentations culturelles : en finir avec ce stéréotype du corps noir hypersexualisé et violent. Mais aussi avec la certitude que le changement est timidement engagé avec Marianne et le garçon noir.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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