Mon amie pour la vie : Partie 2/2

Mon amie pour la vie : Partie 2/2

Kadiatou était sa meilleure amie avant tout et elle se fichait d’Ibrahima. Elle avait certes cherché à sympathiser avec lui à chaque fois qu’ils s’étaient vus, mais elle était ainsi avec tout le monde. Elle ne sortirait pas avec Ibrahima si elle le lui demandait. Il y a tellement de garçons qui s’intéressent à elle, elle pouvait bien lui laisser le seul qui l’intéresse, elle.

Cette pensée réconforta Aïssatou. Elle se redressa et saisit son portable. Il y avait un message de Kadiatou qui l’attendait : « Ça va ?? T’étais un peu bizarre quand on rentrait :/. » Aïssatou prit une profonde inspiration et une gorgée de l’infusion de plantes que sa mère lui tendait. Cette dernière s’était installée à côté d’elle et lui caressait les cheveux, toujours à la recherche de réponses sur son état.

Après quelques hésitations sur la manière de commencer, Aïssatou rédigea un long message à Kadiatou  Elle était seulement interrompue par sa mère qui lui faisait boire l’infusion à intervalles réguliers. Sa présence donnait le courage à Aïssatou d’écrire tout ce qu’elle n’aurait peut-être jamais pu lui dire en face. Elle lui dit tout. Elle lui parla du sourire et des fossettes, des discussions sur le chemin du collège et en cours. La honte lorsqu’il lui a dit ne pas aimer les Noires, de la fausse amitié. Et puis, elle finit par écrire ce qu’elle n’avait jamais prononcé, pas même en elle-même :

« J’aime Ibrahima. »

Le lendemain, Aïssatou se rendit au collège avec l’estomac pris en tenaille par la crainte et l’impatience. Elle avait des crampes atroces qui, elle le savait, ne la quitteraient pas avant qu’elle ait vu Kadiatou  Dans la cour, elle guettait son arrivée. Elle crut la voir un nombre incalculable de fois dans cette cour désertée même par les rayons du soleil. Elle aurait tout à fait pu être cette fille près des toilettes qui avait le même sac que Kadiatou ou sa copine à côté qui avait la même paire de bottines. « Kadi » appela-t-elle par erreur Mariama qui de dos avait la même coiffure qu’elle. « Vous pouvez pas respirer l’une sans l’autre ! » s’amusa cette dernière et Magalie. Toutefois, une part d’Aïssatou se sentait rassurée qu’il ne s’agisse pas vraiment d’elle. Qu’est-ce qu’elle allait lui dire ? Après des longues heures d’attente, elle avait répondu à son long message par un laconique : « On en parle demain. » Pourquoi ne pouvait-elle pas en parler tout de suite par message ? C’était pourtant simple d’écrire, « Ok, je comprends. Bien sûr que je ne sortirais pas avec le garçon dont tu es amoureuse. » Pourquoi cette froideur, elle qui polluait toujours ses messages d’émojis et de « Mdr. » Que pensait-elle d’elle ? Est-ce qu’elle lui en voulait ? Quand Kadiatou lui avait demandé si Ibrahima lui plaisait, elle avait nié de toutes ses forces. À quoi bon lui dire puisque de toutes façons Ibrahima n’aimait pas les Noires ? Autant faire comme si c’était également son choix d’être amie avec lui. Aïssatou ne voulait surtout pas voir se dessiner sur le visage de Kadiatou cet air désolé qui la faisait se sentir si insignifiante. Et puis, elle avait enfin quelque chose dans sa vie qu’elle ne devait qu’à elle seule. Alors il n’était pas question pour elle de donner une occasion à Kadiatou de rendre cette relation ridicule. C’est ce qu’elle avait fait pour ses cours de théâtre. À quoi bon passer ses mercredis après-midis dans le gymnase qui empeste les vieilles chaussettes, alors qu’elle n’a pas l’intention de devenir actrice ? Surtout si c’est pour jouer que les plus petits rôles avec peu de répliques !? Elle avait aussi parlé de sa passion pour les mangas ou Les Sims. « C’est des trucs de gamins un peu, non ? » avait ricané Kadiatou en chœur avec Mariama et Magali. Elle avait objecté qu’elle s’en fichait, mais après c’était comme si elle avait fait sienne les paroles de Kadiatou  Elle se sentait idiote lorsqu’elle était devant son écran d’ordinateur à décorer la maison de son Sims ou lorsqu’elle empruntait des piles de manga à la bibliothèque. Elle finit par ne plus faire ni l’un ni l’autre, sauf les jours où l’ennui la poursuivait. Il aurait peut-être mieux valu qu’il en soit ainsi pour ses sentiments pour Ibrahima, songea Aïssatou maintenant que la douleur lui tordait l’estomac.

-Salut Aïssatou, t’es partie super tôt ce matin ! Tu m’as fui ?

Elle sursauta de se retrouver face à Ibrahima. Elle l’avait tout à fait oublier, tout occupé qu’était son esprit de Kadiatou  Ils n’avaient pas l’habitude de se parler dans la cour. Ils s’échangeaient des signes de tête ou des sourires de loin. Quand ils faisaient le chemin ensemble, dès qu’ils dépassaient le grillage chacun était happé par son groupe d’amis respectifs. Mariama et Magali qui étaient restées auprès d’elle commencèrent à conjecturer à voix basse à leur sujet : « Je ne savais pas qu’ils étaient aussi proches ces deux là?! » Voilà qu’Ibrahima brisait cette règle tacite, le seul jour où elle s’était réveillée sans espérer le croiser. Certains jours elle sortait en retard exprès uniquement pour être sûre de tomber sur lui. Ce n’était qu’à cette condition qu’ils se voyaient hors les cours de grec. Aïssatou resta à le dévisager. C’était bien lui. C’était bien ces mêmes yeux caressant qui la laissait aussi enthousiaste qu’un jour naissant. C’était cette même bouche et ces mêmes fossettes riantes qu’elle avait tant de fois désirer embrasser. Mais à présent ils étaient si douloureux à voir. Elle n’y voyait que ses espoirs déçus. Il ne souriait, il n’était doux, pas que pour elle. C’est vrai qu’il y avait toujours eu d’autres filles… Mais il lui a tant dit qu’elle était différente, tant dit qu’il aimait sa compagnie plus que tout, qu’elle l’avait cru. Sans attendre qu’Aïssatou ne lui réponde, Ibrahima enchaîna d’une traite :

-Est-ce que Kadiatou t’a parlé de moi ? Je t’ai pas dit, mais je lui ai demandé de sortir avec moi et depuis elle répond plus à mes messages. Elle m’a dit qu’elle devait réfléchir, alors que ça fait un moment qu’on discute et qu’on s’entend grave bien. Mais t’es sa meilleure amie, donc elle t’a forcément dit si je l’intéressais ou pas, non ?

Aïssatou chercha en elle une réponse. Elle ne trouva rien ? Elle n’avait même pas envie de faire l’effort de lui répondre « non ». Non, Kadiatou ne lui avait pas dit s’il l’intéressait. Elle ne lui avait pas dit qu’elle avait son numéro. Elle n’avait pas même daigné vraiment répondre à son message où elle s’était mise à nu. Alors que pendant ce temps elle discutait avec Ibrahima et qu’il s’entendait grave bien ! Elle continua à le dévisager en silence. Il se racla la gorge, puis reprit gêné par ce silence obstiné :

-C’est vrai que même si elle t’avait dit quelque chose, tu pourrais pas me le dire… Mais on est pote aussi, t’as pas un petit indice à me donner ? Tu sais, elle me plaît vraiment, dit-il dans un petit rire jaune. Elle…

-Tu aimes les Noires finalement ? le coupa Aïssatou. Les mots s’étaient échappés de sa bouche malgré elle. C’était surtout son ton brutal qu’elle n’avait pas prévu. Ses crampes s’étaient intensifiées par la colère indicible que provoquaient les paroles d’Ibrahima. Elle n’était plus capable de savoir si c’était sa douleur qui nourrissait sa colère ou l’inverse. 

Ibrahima, décontenancé, lui bafouilla que oui, mais qu’avec Kadiatou était différente et que toutes les Noires n’étaient pas pareilles. Qu’elle était belle, qu’ils s’entendaient grave bien.

-Et moi pas ? s’emporta Aïssatou

Comment osait-il? Elle qui avait toujours été là pour lui. Lui qui lui répétait qu’elle était mignonne ! Lui qui prétendait que le garçon qui serait avec elle serait le plus chanceux ! Lui qui disait que c’était elle qui était différente ! Espèce de menteur ! Bande de menteurs ! Les deux ! Une nouvelle crampe plus intense fit se plier en deux Aïssatou. Elle sentit les larmes monter à ses yeux. Elle se précipita aux toilettes, ignorant les appels inquiets de ses copines et d’Ibrahima. Les toilettes étaient déjà envahies par celles qui y venaient se maquiller ou discuter loin des oreilles indiscrètes. Une odeur de déodorant et de dissolvant couvraient à peine l’odeur pestilentielle des lieux. Aïssatou faisait la grimace, tout en s’engouffrant dans les premières toilettes libres.

Assise sur la cuvette, elle ne cessait de revivre sous ses yeux ce qui venait de se passer. Ils s’étaient bien moqués d’elle. Ils se fichaient d’elle. L’esprit embrumé par la douleur, elle avait l’impression d’être coincée dans un cauchemar où elle ne cessait de voir Kadiatou et Ibrahima s’embrasser, rire ensemble et rentrer ensemble main dans la main. Elle y serait certainement encore, si Kadiatou n’avait pas fini par toquer à sa porte. Elle lui demanda à plusieurs reprises si ça allait, puis elle dit :

-Je sais que tu es là, je reconnais tes chaussures. Je ne vais pas bouger jusqu’à que tu me répondes.

-C’est toi qui devait me répondre, ironisa Aïssatou.

-Je suis désolée, je savais pas quoi te dire… Parce qu’il me plait à moi aussi… Quand je t’ai demandé s’il te plaisait, tu m’as dit non alors pour moi il y avait pas de mal à ce qu’on se parle avec Ibrahima. Je vous ai posé la question à tous les deux et vous m’avez tous les deux ri au nez. Je vous ai cru.

Elle murmurait plus qu’elle ne parlait. Néanmoins Aïssatou n’en perdit pas une miette. Ces arguments étaient valables, mais sa méfiance restait aux aguets. Elle répondit après un silence :

-Si tu pensais qu’il n’y avait pas de mal, pourquoi tu ne m’as pas dit que vous discutiez ensemble ? 

Kadiatou s’assit par terre, adossée à la porte des toilettes. Elle réfléchit, mais seule des larmes lui vinrent. Aïssatou reprit :

-Parce que tu savais que je mentais quand j’ai dit ne pas l’aimer. Tu savais qu’il me plaisait mais tu t’es dit que comme d’habitude je n’oserais pas le dire, comme je le fais pour quasi tout ce que j’aime… Que je prendrais sur moi et que tu vivrais ton amourette tranquille sous mes yeux.

Après un autre long silence, Kadiatou dit dans un reniflement :

-Je sortirai pas avec lui… si tu veux.

Aïssatou sourit. Son fameux « si tu veux. Ce qu’elle voulait, c’était pouvoir revenir en arrière et avoir le courage de dire la vérité dès le début. Pourquoi elle avait rien dit ? Pourquoi elle avait si peur ? Elle craignait de le faire fuir, de se retrouver seule. C’était chose faite, seule dans ces toilettes puantes. Et bizarrement elle s’y sentait mieux qu’elle ne l’avait jamais été. 

-Ça n’a plus d’importance, affirma-t-elle d’une voix claire. 

La sonnerie du collège résonna. Kadiatou se releva et piétina un instant devant la porte, puis partie. Quand Aïssatou n’entendit plus le bruit de ses pas, elle se leva et baissa son pantalon. Elle vit dans sa culotte des taches de sang, comme elle l’avait soupçonnée. Sa mère lui avait dit avoir eu des crampes atroces la première fois qu’elle avait eu ses règles. Elle bourra sa culotte de papier toilette et se rendit à l’infirmerie.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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