Les prénoms musulmans n’existent pas

Les prénoms musulmans n’existent pas

Je m’apelle Amy.
Je suis Soninké, mais je porte un prénom arabe africanisé.
Mes parents s’appellent Mariam Silri et Ansoumana Shondy.
Ils portent deux prénoms, l’un soninké, l’autre arabe africanisé. Cette habitude s’est imposée avec l’islamisation des Soninkés.
L’idée était peut-être de se rapprocher des grandes figures des débuts de l’islam parce qu’en Afrique de l’ouest, appeler un enfant comme une autre personne permet d’en faire son modèle et de lui rendre hommage.
D’où l’habitude d’avoir deux prénoms pour mes parents, leurs parents avant eux et ainsi de suite.Mais par son lien avec l’histoire musulmane, les prénoms arabes africanisés ont été considérés comme meilleurs. Les prénoms soninkés sont devenus plus rares. Les personnes de ma génération ont quasi tous des prénoms arabes africanisés : Fatou, Mariama, Mamadou, Boubakary, Aïssetou… « Là s’inscrit le début de ce que Wagué Cheikhna appelle la déprogrammation des prénoms soninkés à travers la stratégie de kitaabintoxonu (prénoms du livre). » [1001 prénoms, sous la direction de Thierno Mohamadou Tandia et Harouna Mangassy, Daaxan Sunka Yinbe, 2021.] Je suis d’ailleurs la seule de ma famille à ne pas tenir mon prénom d’un membre de ma famille. Ma mère m’a expliqué que j’avais un « prénom du livre », inspiré de l’histoire prophétique parce qu’elle avait des ambitions religieuses pour moi.

Or, ces mêmes « prénoms du livre » sont souvent critiqués, perçus comme incorrects dans les espaces arabo-musulmans. Mon prénom y a souvent été « corrigé », étant appelé « Amina » au lieu d’Amy. La génération suivante, en accord avec cette tentative de correction, donne des prénoms arabes à leurs enfants : Fatima, Miriam, Mohamed, Abubakr, Aïcha… Islamisation est confondue avec arabisation. Bien que l’islam soit né dans le bassin arabique, il est universel. L’islam donne des principes et un cadre dans lequel chaque culture peut s’exprimer. Il ne demande pas de mettre sa culture de côté pour adopter une autre et ne place pas une culture au-dessus d’une autre. Il n’y a pas une culture musulmane, comme il n’y a pas de prénoms musulmans. Cet encouragement à abandonner la culture soninké pour la culture arabe est une forme de colonisation.

Le prénom est central dans la construction de l’identité. La philosophe Judith Butler fait du prénom notre acte de naissance sociale dans Le Pouvoir des mots. De même, dans l’histoire afro-américaine revêt une grande importance. La dépossession du prénom et de nom faisait partie du processus d’asservissement des corps africains déportés à partir du XVIème siècle aux Amériques. Le prénom porte une histoire, une culture, à la fois familiale et communautaire. Adopter le prénom d’une autre culture est un acte d’assimilation fort. D’où l’envie de Zemmour de nous baptiser Corinne et Paul. Cet acte devient une forme de violence quand il existe un rapport de domination entre notre culture et la culture à laquelle on s’assimile. Le militant Malcolm X l’a souvent expliqué avec son choix de prendre le nom de X. Little, son ancien nom, était celui du propriétaire de ses ancêtres. Il avait choisi un X, faute de pouvoir remonter  ses origines. Sur le continent, le lien n’est pas rompu, néanmoins un même effacement de l’héritage est en cours avec les prénoms. Les populations africaines chrétiennes portent systématiquement des prénoms européens. Les populations africaines musulmanes suivent leur exemple mais avec les prénoms arabes. Malgré le lien religieux, il y a une même relation de domination. C’est ce qui autorise des personnes arabes à corriger un prénom africain arabisé.  Il est temps que la communauté noire ouvre les yeux sur ce sujet, mais aussi sur d’autres comme son colorblind.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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