Les Djinns parisiens de Seynabou Sonko
“Une claque !” “Rafraichissant !” “Un langage parlé.” “un récit multiculturel.”
Le cortège de louanges habituelles de la presse, lorsqu’une personne issue de l’immigration publie un livre qui parle des quartiers populaires. C’est la performance attendue. La place qui nous est assigné dans l’édition.
Je n’aime pas la sensation d’y être cantonné. Je n’aime pas la sensation qu’elle représente un îlot pour une élite en quête d’exotisme, de sensationnel. Mais, j’aime ce langage, j’aime cet univers. Il a sa richesse, sa poésie et ses références propres. Je l’ai particulièrement ressenti dans Djinns, le premier roman de Seynabou Sonko.
Toujours la même chanson
Seynabou Sonko crée de la nouveauté, de l’inattendu avec une situation banale. Dans son roman, nous avons droit au quartier défavorisé classique avec des personnes immigrées, une héroïne paumée, un dealer qui galère et des pères absents. Au milieu de tout ça, l’éternelle difficulté d’avoir une double culture (quand l’une d’elle est africaine) en France.
Mais dans ce cadre cliché, l’autrice aborde la question de la santé mentale et l’islam, avec un humour et un réalisme qui frôlent le cynisme. Son ami Chico, pourtant loin d’être religieux, qui récite une sourate pour se protéger au moindre danger. Son autre ami Jimmy, diagnostiqué schizophrène, qui lui envoie des vidéos à la chaine, sans rapports. Ou encore le sac de la mère de ce dernier rebaptisé de sac à bières officielle à force d’en transporter. Les personnages, ainsi que les lieux, sont incarnés avec force par des détails marquants et inattendus. Ils forment un tableau impressionniste. On ne peut s’empêcher de tourner les pages pour mieux saisir ce long monologue intérieur aux allures de récit onirique.
Est-ce un problème mental ou de djinns ?
Cette question est en apparence au centre de l’intrigue. Après l’internement de Jimmy en hôpital psychiatrique, il est essentiel pour Penda et sa grand-mère Mami Pirate de réussir à guérir ses troubles mentaux. Mami Pirate avait déjà tenté sans succès de le soigner avec une médecine naturelle et mystique. La psychiatre de Jimmy tente aussi sans succès de le soigner avec des médicaments qui l’abrutissent. L’une s’attaque aux djinns, l’autre au cerveau. L’Afrique et l’Occident se toisent dans un même bureau, mais tous deux s’attaquent à une réalité qui leur échappe. Alors, ces deux mondes se rejoignent sur une solution potentielle : l’iboga, une racine censée guérir l’addiction à la beuh de leur patient. Leur accord montre que derrière les histoires de djinns et de schizophrénie, le personnage souffre surtout de précarité et d’un problème identitaire. D’un côté, il a un père inconnu, venu d’un Sénégal inconnu. De l’autre, une mère démissionnaire, dans une France où il est livré à lui-même, sans repas. Jimmy vagabonde comme un pigeon. Penda et Chico, qui n’ont pas sombré dans la folie, aussi.
Ils vécurent heureux pour toujours… ou pas !
On se croirait dans un film de banlieue, à la différence que nous sommes à Paris, dans le 10ème arrondissement. Le sujet n’est pas la vente de drogue, mais la manière de s’en libérer. Il y a des Noir.e.s, oui. En revanche, dans Djinns, ils ne sont pas un bloc monolithe. Il y a des femmes (surtout) et des hommes, des jeunes et des vieilles, des bobos et des pauvres, des musulmans et des non-musulmans, des clairs et des moins clairs. Il y a une palette variée de personnages noirs, dans des situations différentes. Il y a aussi des Blancs, de différents types aussi. Dans les histoires sur les quartiers populaires, les auteurs créent souvent un entre-soi entre les minorités. Comme si la précarité et la délinquance ne les concernaient pas. L’effet est de renforcer les stéréotypes comme dans les comédies sur le racisme.
Dans Djinns, il en est autrement. Il y a de la diversité enfin, mais sans créer ce perpétuel encadrement du personnage principal par d’autres couleurs, une par ethnicité, pour ne pas faire “trop”. Trop communautaire ? Trop noir ? Trop engagé ? Le résultat est finalement juste trop réaliste, et c’est une bonne chose. Les personnages ne sont pas des stéréotypes ambulants. Ils sont confrontés aux problèmes qui occupent toute personne : la famille, l’amitié, le travail et l’amour. Bien sûr, le racisme et les préjugés y jouent un rôle : la narratrice en parle avec franchise.
Djinns est donc un livre comme j’aimerai en lire plus, autant en tant que lectrice, que femme noire musulmane. Surtout que Djinns, comme tous les livres qui abordent la question du tiraillement identitaire, reste toujours en suspens. L’histoire des Afrpéennes s’écrit peut-être encore.