5 Livres Qui M’ont Rendus Afro-Fem
Il y a encore quelques années, je me définissais comme une non-féministe. Comme tout le monde, en voyant les femmes travailler en masse, faire de longues études et porter des mini-jupes, je me disais l’égalité est plus ou moins déjà-là. Surtout que les quelques débats féministes dont j’entendais parler, me semblaient superficiels. Je me sentais davantage concernée par les questions de racisme. Mais voilà quelques livres plus tard… Me voici devenue une Afro-Féministe décomplexée ! Je te présente donc des livres, 5 livres pour être précise, qui ont transformé mon regard sur notre société.
I. Beauté Fatale, de Mona Chollet
Je devais forcément commencer par ce livre, parce que tout à commencé avec ce livre. Je l’ai lu à un moment où j’étais bloquée dans l’écriture de mon mémoire de 1er année. Il a donc débloqué mon écriture et servi de source principale pour l’écriture des Dessous des Princesses Disney (clique ici si tu veux découvrir mon livre). « Beauté Fatale » m’a aussi et surtout amené à mieux comprendre la femme d’aujourd’hui. Dans ce livre, Mona Chollet, écrivaine et journaliste spécialiste du féminisme, analyse ce qu’elle appelle « le complexe mode/beauté » de la femme. Il s’agit de la passion démesurée des femmes pour leur apparence : notre amour du shopping, notre besoin vital d’être toujours bien habillée, manucurée, coiffée, maquillée, même si cela peut signifier parfois gaspiller notre argent, notre temps et distordre notre corps pour qu’il rentre dans le moule de la féminité modèle (talons douloureux, régime amaigrissant extrême, crème éclaircissante, chirurgie esthétique…). Alors au fil de la lecture, on se rend compte de trois choses. Déjà, que la beauté est le principal, voir le seul critère qui définit la femme idéale : analyse du monde des mannequins et des magazines à l’appui. Du coup, on remarque que les femmes restent dépendantes de celui qui pose le regard sur elle. Deuxièmement, vu l’importance grandissante de la mode et de la beauté, Mona Chollet montre que l’indépendance, l’intelligence, l’audace et toutes ces qualités de la femme actuelle se sont justes ajouter aux critères pour être belle. Elle dit avec justesse qu’on ne doit plus être libres pour le plaisir de la liberté, mais pour être séduisantes. Et troisièmement, en récupérant le féminisme comme argument publicitaire, l’industrie de la beauté et de la mode ont réduit l’indépendance féminine à la possession d’un rouge à lèvres ou d’un sac. Il ne s’agit donc plus d’être libre, mais de posséder des attribut de femmes libres. Comme si c’était la couronne qui faisait le roi… C’est un livre que je te recommande si tu veux prendre tes distances avec toutes ces injonctions à être une femme parfaite qu’on a autour de nous.
II. All The Women Are White and All The Blacks Are Men, But Some Of Us are Brave
Je savais que j’aimerai ce livre juste en lisant le titre. Et j’ai eu raison parce que son titre dit tout. Dans cet ouvrage qui réunit les articles de différentes femmes (des chercheuses, journalistes, artistes…) autour de la question des femmes noires aux États-Unis, je me suis familiarisée avec le Black Feminism. L’avantage de ce livre, c’est que tu peux piocher dedans comme dans un catalogue et qu’il y en a pour tous les goûts. Différents auteurs, différents textes, différents genres, différents sujets qui conduisent chacun à leur manière à un constat : les femmes noires sont dans tous les domaines de recherches, dans la société américaine en fait, un chapitre accessoire.
Elles sont la plupart du temps ignorées. Pourquoi ? Leur féminité ne leur permet pas de représenter la communauté noire et leur peau noire ne leur permet pas de représenter les femmes : dans les deux cas, on les renvoie à leur caractère spécifique. Mais cette spécificité est construite. Qui a décrété que les hommes étaient plus neutres, plus normaux que les femmes ? Qui a décrété que les femmes blanches étaient plus neutres, plus universelles que toutes les autres femmes ? On connaît tous la réponse, je ne vais donc pas me lancer dans une diatribe stérile contre l’« homme blanc. » Qu’on qu’il en soit, ce livre a été une véritable prise de conscience pour moi. Non seulement de la nécessité d’un féminisme spécifique aux femmes noires, mais aussi des manières d’agir. Dans ce livre, j’ai trouvé des références pour pleins de livres : romans, essais, poèmes, pièces de théâtre… (Si tu veux des noms, tu peux me les demander en commentaires.). J’ai découvert que pleins de choses ont été faite aux États-Unis sur le sujet depuis les années 1970. Avant la lecture de ce livre, je n’aurai pas pu citer le nom de plus de trois écrivaines noires. Mais petite précision : ce livre n’est malheureusement pas traduit en français. Si tu ne comprends absolument pas l’anglais, il faudra passer ton tour… Ou alors tenter l’expérience parce qu’il reste facile à lire. Je ne suis moi-même pas bilingue, mais j’ai réussi à le lire sans difficulté.
III. Femmes, race et classe, d’Angela Davis
Nul besoin de te présenter Angela Davis, cette activiste communiste, afro-feministe et anti-carcérale mondialement connu. Et bien sache que ce livre a contribué à sa renommée. Il est un livre pionnier dans la mesure où Angela Davis est l’une des premières (et même la première à ma connaissance) a retracer l’histoire des femmes afro-américaines aux États-Unis. Jusqu’à présent les quelques études sur ce sujet, analyser l’effet néfaste de l’indépendance des femmes noires sur la famille afro-américaine. Les sociologues parlaient d’un « matriarcat noir » pour dire que les femmes noires jouaient le rôle des hommes et que les hommes noirs étaient émasculés, donc contraint d’abandonner leurs enfants… Stupide, mais c’est pourtant une croyance tenace caractérisée par la caricature de la Mama Africa, grosse et brutale qu’on retrouve souvent à la télé. Mais on le sait, il y a toujours un peu de vrai dans tous les stéréotypes. Et en effet, les femmes afro-américaines ont réellement dû assumer des rôles dit « masculins. » Elles sont arrivés sur le sol américain à la fois pour donner des enfants et pour travailler dans les champs de coton. Après l’abolition de l’esclavage, elles ont travaillé principalement comme domestiques, car les hommes noirs trouvaient beaucoup plus difficilement du travail. Tout cela, Angela Davis l’explique en détail dans son livre. Elle va même plus loin, puisqu’elle montre comment l’histoire des femmes afro-américaine s’écrit en marge de celle des hommes afro-américains et celle des femmes blanches américaines. Et même souvent en opposition : l’exemple le plus connu, est celui des Afro-américaines qui militent contre les programmes de stérilisation forcée, au même moment où les Américaines militent pour le droit à l’avortement. Avec son livre, j’ai vraiment découvert une autre histoire, l’histoire de mes aînées.
IV. Sister Outsider, Audre Lorde
« Je suis une poétesse, noire et lesbienne », c’est ainsi qu’Audre Lorde se présente. Je ne me permettrais donc pas de la présenter avec d’autres mots. Dans chacun de ces textes, on s’en rend par ailleurs parfaitement compte. Ce petit livre réunit plusieurs discours, des extraits de textes et de lettres où sa plume poétique résonne et son engagement politique détonne. Toujours autobiographique, elle part de son expérience personnelle dans chacun des textes. Dans l’un d’eux elle raconte comment la découverte de son cancer du sein l’a amené à vouloir exprimer sa pensée. Dans un autre, il s’agit d’une lettre ouverte adressée à une collègue qui a exotisait son travail. Ou encore dans un autre, elle explique les difficultés à élever son fils en « homme » entre sa compagne et sa fille. Son livre est une parfaite synthèse de la pensée politique de cette « poétesse guerrière. » À mon sens, cette pensée politique est infiniment juste, pleine d’humanisme et de tolérance et s’adresse à toutes personnes qui veut mieux vivre avec son voisin. Elle invite aussi à l’action, chacun à son niveau et avec ses moyens. À la lecture de Sister Outsider, je me suis sentie capable, je me suis senti une profonde envie d’agir… En tant qu’écrivaine et en tant que femme, Audre Lorde fait partie de mes modèles. Mais pour véritablement comprendre mon enthousiasme, la seule chose à faire, c’est de lire Audre Lorde. Juste pour avoir un avant-goût, je te conseille de lire « Transformer le silence en paroles et en actes. »
V. Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks
Je t’ai gardé le meilleur pour la fin (sans diminuer en rien la qualité des livres précédents). Ce livre a joué un rôle clef dans la construction de ma réflexion afro-feministe. bell hooks explique dans ce livre la manière dont se construisent les stéréotypes et les discriminations spécifiques aux Afro-américain. Son titre pose d’emblée cet affront subit par les femmes noires : « Ne suis-je pas une femme ? » Cette question traverse toute son étude puisqu’on constate que les femmes noires ne sont pas considérées comme des femmes. Elles n’échappent pas aux préjugés sur la race noire : lui est un violeur, elle est une débridée sexuelle, ce qui justifie son viol ; lui est cantonné
aux travaux physiques au nom de sa force animale et elle aussi à une époque où le travail féminin est vu comme dégradant. À l’aide d’extrait de témoignages, de romans, d’articles, et même de publicité, bell hooks permet de comprendre les tensions entre les femmes noires et respectivement les hommes noirs et les femmes blanches. Le livre de bell hooks m’a aussi amené à rapatrié l’afro-feminisme en France. Si tu as bien suivi ma trajectoire, j’ai commencé par m’intéresser à la situation des femmes noires aux États-Unis, puis nourrie de leurs recherches, mon intention s’est orientée sur la situation des femmes noires en France. Je dois cette évolution notamment à la réalisatrice Amandine Gay. Dans la préface de « Ne suis-je pas une femme », la jeune femme raconte son cheminement intellectuel en tant que femme noire en France. Elle a par le récit de son expérience contribué au mien et elle m’a donné les clefs pour continuer. Dans sa préface, il y avait une liste de blogueuse en ligne que je me suis faite un plaisir de découvrir (Kiyemis, Mrs Roots, la toile d’Amla…). Elle parle aussi brièvement d' »Ouvrir la voix » son film réalisé « pour parler des femmes noires issues de l’histoire coloniale européenne du point de vue des concernées. » Or, j’ai vu ce film lors de l’une de ses projections à Paris l’hiver dernier et j’ai été bouleversé tant il est criant de vérité. À l’écran des jeunes femmes se racontent autour de thématique comme le physique, l’amour, le travail, la famille… Et de témoignage en témoignage j’ai le sentiment de m’entendre. Mais surtout de m’entendre donner des réponses à tous ces malaises que je ne parvenais pas à m’expliquer.
Tu l’auras compris, ces quelques livres ont chacun contribué à leur manière à mieux me comprendre en tant que femme noire née dans une société patriarcale et blanche. Ce sont des livres qui font réfléchir, qui ne sont pas toujours facile à lire. Mais il est important de lire ce genre de livre.
« Les gens ne réalisent pas à quel point un simple livre peut changer toute une vie. » Malcolm X
Amy Tounkara
Un commentaire sur “5 Livres Qui M’ont Rendus Afro-Fem”