Le sang de ma mère : Chapitre 9
Un matin, Ma me défendit de me rendre au champ. « C’est le mariage de Matouné Cissé, ce soir. Il faut te préparer. » J’appréciais Matouné Cissé. Elle apparaissait avant le premier repas du soir, avec un « Rakila jam ? » enjoué. Elle discutait surtout avec Ma, mais elle me taquinait toujours un peu sur mon soninké. Quand je finissais par bouder, elle me demandait de lui apprendre le français. Une fois que je mettais moquée d’elle, nous étions quittes concluait-elle. En partant, elle insistait toujours pour que je vienne dormir chez elle parce qu’il ne restait plus qu’elle chez ses parents. Elle s’ennuyait. Je refusais toujours ses propositions qui étaient peut-être une simple blague. Elle m’en faisait à chaque occasion.
Je soupirai, déçue de devoir renoncer à mes jeux habituels. Ma colère se dissipa vite quand Radji vint me chercher pour l’accompagner faire des courses. Il était particulièrement enjoué. Je constatai vite que cette bonne humeur était générale. En chemin, toutes les personnes que nous croisions parlaient des préparatifs du mariage, le sourire aux lèvres. Qu‘est-ce que nous allions manger ? Qu’est-ce que nous allions porter ? Qui danserait le plus ? Radji et moi avions eu droit à plus de blagues que d’habitude et des bonbons piochés dans les sachets distribués par la famille du marié. À la boutique, même l’épicier nous offrit pour la première fois des bonbons, lui qui me reprochait toujours d’acheter peu pour une Française. En suçotant un bonbon au gingembre, je me laissai imprégner par l’allégresse générale. Seul le ciel pouvait apparemment assombrir cette journée, entendis-je dire avec anxiété, de temps à autre. Des gros nuages, au loin, guettaient le moment opportun de se déverser sur nous. Mais la pluie est une bénédiction, se pressaient-ils de se corriger. Ça gâcherait la fête, certes, mais ça restait un signe de bénédiction divine. Quoi de mieux pour un mariage ? Je ne me posais pas la question. Je suivais seulement Radji qui savait exactement à qui demander pour avoir des ice* et du cakilli*. Avant la prière du maghreb, le village était plein à craquer, en particulier ma maison. Même en se faufilant entre les jambes, nous tombions toujours sur un adulte pour nous envoyer chercher quelque chose en cuisine ou dans une maison voisine. La commission accomplie, il était parfois impossible de retrouver la personne qui nous avait mandaté. Radji haussait alors les épaules, et jetai la casserole ou le foulard entre les mains du premier visage connu. Il préférait se mêler aux danseurs.
En cercle autour d’un homme qui tapait sur son tam-tam, si vite que je ne voyais plus ses mains, une foule se bousculait. Ils battaient des mains pour encourager les quelques valeureux au centre qui dansaient. Ils sautaient, ils agitaient les bras et le bassin d’une manière hypnotique. Je sentais mon cœur tressauter et mon corps se balançait avec eux. J’avais envie de les rejoindre. C’était si beau, surtout de regarder les femmes danser. Leurs bracelets en or et leurs foulards chatoyants détonnaient dans l’air. Elles n’hésitaient pas à les attacher sur leurs hanches et à retirer leurs chaussures pour danser avec plus d’aisance. Je comprenais enfin l’intérêt de ces pagnes que je peinais à garder attacher.
C’est au milieu de ce regroupement dansant, que je réalisai que je ne m’étais finalement pas changée. Je portais encore le t-shirt Barbie et le pagne que j’avais enfilé le matin. Je n’avais pas revu Ma depuis. Je me précipitai jusque notre chambre, déterminer cette fois-ci à ne pas me laisser décourager par les rangées de jambes dressées. Arrivée dans notre chambre, je la reconnus à peine. Je l’avais toujours connu immensément vide. Un lit, coiffé d’une moustiquaire, nos valises et un tapis au sol, seul ornement d’une pièce aux murs nus. Notre chambre était à présent envahie d’inconnus. Ils discutaient ou mangeaient par grappe de quatre ou cinq. Je retrouvai Ma, au pied de notre lit, à côté de Matouné Cissé, en train d’être tressée. Silencieuse et le regard perdu, leur petit groupe tranchaient avec l’assemblée.
« Allez, viens on y retourne » Me secoua Radji qui m’avait suivi à mon insu.
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