Le Sang de ma mère : Chapitre 7

Le Sang de ma mère : Chapitre 7

Mama Oloria avait en effet beaucoup d’histoires de souxounia à raconter. Quand j’attrapais ma nourriture avec la main gauche, elle me tapait la main en affirmant que je risquais d’attirer l’attention des souxounia*. J’avais beau essayé de lui expliquer que j’étais ambidextre, elle répétait en mâchouillant son siwak, que les souxounia sauront que tu es une cible facile. Le soir, impossible de quitter sa maison sans avoir bu une gorgée de son eau coranisée au goût de terre parce que la nuit était le terrain de jeu favori des djinns et des sheitanes. La première fois, elle m’avait pincé le nez pour me forcer à avaler sa boisson à la couleur suspecte. Pourquoi les ânes se mettent à braire soudain au cœur de la nuit ? Pour nous prévenir que les souxounia rôdent ! Quand Mama Joula lui annonça la fausse couche de sa vache, elle assura que des souxounia avaient dû nouer des nœuds pour que le cordon ombilical se rompe. Pareil pendant la journée de pluie, comme seul les moussons savent en provoquer, elle m’interdit de m’approcher des bassines ayant recueilli l’eau autour de chaque maison. Ces créatures malignes y cachaient des maléfices. Après ces affirmations, Mama Oloria racontait toujours une histoire. Je m’éloignais avant d’en entendre trop. J’imginais déjà des monstres à l’affût partout, dès que la nuit tombait. Mais quand je dardais ma lampe torche sur le monstre embusqué, il s’était transformé en lézard effrayé. Je devais certainement lui ressembler quand je m’enfuyais pour ne pas entendre les vieux contes de Mama Oloria puisque je provoquais souvent l’hilarité générale. Dans le village, ma grand-mère était connue pour ces anecdotes dont personne ne se souvenait. Si on ne la croyait pas tout à fait, certains s’amusaient tout de même à dire que pour si bien connaître les souxounia, elle devait en être une.

Ainsi, malgré les protestations de Ma, qui détestait ces histoires de souxounia peut-être autant que moi, Mama Oloria se lança dans un récit. Contrairement à mon habitude, ce soir-là, je restai installée sur la terrasse, entre Ma et Mama Oloria. J’oubliai ma peur. Je devinai, à la contrariété de Ma qui avait saisi son chapelet pour l’égrainer furieusement et à la voix de Mama devenu un murmure mystérieux, que je devais tendre l’oreille. Il ne restait plus que nous trois. Le village s’était partagé entre ceux qui visionnaient une cassette, déjà vu plusieurs fois, à la télévision et ceux qui discutaient bruyamment près du puits. Mama Oloria crachota des petits bouts de son siwak, puis parla. Elle ne raconta pas vraiment une histoire de souxounia. Elle s’épancha sur Matouné* Radja. J’eus du mal à savoir de quel Matouné, elle parlait au départ. Chaque jour, une foule de visages encombrait notre vestibule. Ils venaient saluer les Français, récupérer une enveloppe, un paquet confié par leurs proches à mes parents. Les visiteurs qui n’avaient rien à réclamer repartaient tout de même avec un billet donné par l’un de mes parents. Je ne comprenais pas, même lorsque je devais accompagner ma mère visiter un oncle ou une cousine, elle finissait toujours par tendre un billet. Elle me chargeait parfois même de donner le billet, en particulier avec les grands-pères et les grands-mères qui m’appelaient leur petite épouse. Quand je demandais à Ma pourquoi personne ne nous donnait rien à nous, elle secoua la tête sans me répondre. Parmi tous ces visiteurs, que j’appelais pour la plupart Caou ou Matouné, je ne connaissais que ceux qui vivaient avec nous ou nous rendaient visite régulièrement. Matouné Radja était de cela. Elle vivait avec nous dans notre maison, au second étage où j’avais défense de monter. En revanche, Matouné nous rendait visite tous les jours. Elle nous apportait nos repas et elle se chargeait de notre lessive. Elle insistait même pour nettoyer notre chambre, mais Ma s’y opposait en lui arrachant le selade* des mains. Je ne lui avais jamais prêté attention. Quand nos regards se croisaient, elle me saluait en ricanant. Je ne parvenais pas à partager ce rire inexplicable. Il n’avait rien d’un rire. Mama Oloria était d’accord avec moi. 

Souxounia : sorcière. 

Matouné : tante.

Selade : balai constitué de branches fines.

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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