Et Tu Te Marieras Ma Fille

Et Tu Te Marieras Ma Fille

Le mariage… C’est une sacrée histoire… On est d’accord pour dire qu’entre la femme et le mariage, it’s complicated, non ? En théorie, c’est juste un truc entre deux personnes qui s’aiment bien assez pour vouloir vivre toute leur vie ensemble. Mais dans les faits, ça concerne aussi les familles et toute la société… Et c’est bien là que tout se corse, parce qu’on est aux antipodes, du choix individuel. Pour comprendre ça, il faut reprendre cette longue histoire depuis le début. À la base, cette cérémonie a été imposée pour établir la paternité des enfants. Les hommes craignent de transmettre leurs biens à des enfants qui ne sont pas les leurs, alors on se marie pour signifier aux autres « chasse gardée. » Alors, non seulement la société s’organise autour du mariage, mais la vie des femmes s’organise également autour du mariage. Évidemment, dans une société patriarcale, autrement dit bâti pour les hommes, l’intérêt des femmes se limite à celui que ces messieurs voient en elles. Or, cet intérêt est la reproduction sexuelle ! Et l’un des moyens d’utiliser cette capacité au mieux est le mariage. Il devient donc un superbe outil de domination féminine. D’un côté, on place la femme sous la tutelle du mari au niveau juridique, économique et moral, au nom des interprétations religieuses et de l’imbecillitas sexus (la faiblesse du sexe féminin reconnu en droit latin). De l’autre, à cause de cette dépendance vis-à-vis de leur futur mari, les filles sont désavantagées au sein de leur famille, vis-à-vis des garçons qui eux perpétuent l’héritage familial. Pourquoi gaspiller son temps et son argent pour un enfant qui ira tout transmettre à sa belle-famille ? Logique que pendant des siècles, on ait préféré avoir des fils.

Et c’est précisément cette situation injuste que nous dénonce l’écrivaine Jane Austen dans ses romans. Dans Orgueil et Préjugés, les intrigues amoureuses de ses personnages sont surtout un bon prétexte pour critiquer la condition des Anglaises au XVIIIème siècle. On y découvre des jeunes filles déshéritaient d’office parce que ce sont des filles. Des existences vident, où l’on attend seulement la rencontre avec des jeunes hommes. Des filles éduquées dans le seul but de se marier, puis de marier à leur tour leurs filles. Et bien sûr un choix du partenaire déterminé par les parents, mais aussi par la fortune et le rang social.  Un brin anecdotique tout ça, te dis-tu. 

Et bien si je te disais que la critique du mariage de Jane Austen est encore valable à notre époque ? En lisant Orgueil et Préjugés, à bien des égards, je m’y suis retrouvée. Si on met de côté les calèches et les châteaux, qu’on dévêtit les personnages de leurs titres de noblesse et de leurs robes à corset, et bien, on retrouve une grande similitude entre nos deux situations. Malgré les acquis considérables obtenus par les femmes ces dernières décennies, j’ai retrouvé dans ce livre la même conception du mariage dans laquelle j’ai évolué au cours de ma vie. Aujourd’hui comme dans le temps, je n’ai pas le sentiment qu’on pousse les femmes à se marier pour qu’elles soient heureuses, mais uniquement pour qu’elles soient mariées.

L’héroïne d’Orgueil et Préjugés, Elisabeth Bennet, est une lady du Hertfordshire et moi, je suis une Soninké de Gambie, qui vit à Paris. En dépit du temps et de l’espace qui nous sépare, on est toutes les deux empêtrées dans la même histoire : le mariage. L’objectif de sa mère est de la marier, je suis quant à moi promise en mariage à un cousin du bled avant même de savoir correctement parler et marcher. Elisabeth refuse la demande en mariage de son cousin, tout comme moi je refuse les demandes en mariage successives d’une flopée de cousins et de connaissances. À elle, on explique qu’elle doit se marier si elle ne veut pas finir à la rue à la mort de son père, à moi que ma vie commencera après le mariage. À elle les bals pour se dégoter un mari, à moi les fêtes familiales et les séances photos. Tout tourne autour du mariage. Je constate très tôt que c’est tout à la fois un divertissement, un sujet de conversation et un enjeu vital. Pourquoi ? Pour la noblesse anglaise du XVIIIème, le mariage se résume à la fortune et au rang social des prétendants. 

Chez les Soninkés, c’est la même chose. Tout part d’un souci religieux. L’islam interdit la fornication et prescrit le mariage. Mais très vite, ça devient surtout une question de prestige social. Le prestige d’une famille se mesure à sa richesse, à sa caste et à sa respectabilité mesurée à l’aune de sa piété religieuse. Il est donc très important de bien marier ses enfants pour perpétuer ce capital. Du coup, le mariage est une véritable obsession au sein de la communauté soninké. Surtout, qu’il y a toujours la crainte du déshonneur : une femme abandonnée par son mari, une grossesse hors mariage… L’honneur des familles est porté par leurs filles.  

Elles doivent cette distinction au fait que leur virginité peut être vérifiée, contrairement à celle des garçons. Les filles font donc l’objet d’une surveillance particulière. Si elles ont des relations hors mariage, elles risquent d’une part l’opprobre général, dans une société où la sexualité, surtout celle des femmes, est tabou. D’autre part, elles s’exposent à avoir un enfant non reconnu par le père. Ce cas de figure est risqué pour les femmes, car elles n’ont pas la possibilité de subvenir seule à leur besoin. Si elles se retrouvent célibataires, elles restent sur les bras de leurs parents. En fait le mariage est juste un moyen pour les familles de garantir l’entretien financier de leurs filles et des enfants qu’elles auront…

Alors bien sûr, la solution idéale est de marier le plus tôt possible les filles. Ainsi, elles n’ont pas le temps de fauter. De plus, les parents organisent des mariages arrangés, qui peuvent se terminer en mariage forcé si nécessaire. Cette solution est tellement efficace qu’elle devient une coutume, considérée comme une règle religieuse. On pourrait croire, qu’avec l’immigration en Europe et aux Etats-Unis, toutes ces coutumes ont été abandonné par les migrants. Mais au contraire, le mariage est aussi devenu un système d’entraide. « Si j’avais épousé une Française et pas ta mère, je n’aurai envoyé de l’argent qu’à ma famille. Là, comme je suis mariée à une fille de chez nous, on aide deux familles », m’explique mon père. La logique se tient. Cependant, il y a un hic. Si Elisabeth se conforme dans un sens aux attentes de sa famille, ce n’est pas le cas pour moi. Contrairement à elle qui est une fille modèle de son époque, je ne suis pas une Soninké modèle. Le fait est que je ne suis pas seulement Soninké, je suis aussi Française. Alors comme toutes les Françaises de ma génération, j’ai été bercée par la rengaine « Ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux pour toujours. » Je ne conçois donc pas le mariage motivé par autre chose que l’amour. Le mariage tel que mes parents me le vendent, m’angoisse. Je ne savais pas comment, mais je savais que je devais trouver un 

moyen de fuir. Peu rassurante, cette perspective me provoquait une boule à l’estomac. Mais heureusement pour moi, avant que je n’arrive aux âges fatidiques où il est question concrètement de mariage, les Soninkés de mon entourage ont été contraint de renoncer à leurs pratiques. Certaines ont suivi la volonté de leurs parents et ne l’ont pas regrettés. D’autres si (je reviendrai dans un autre article sur le mariage arrangé/forcé.). Mais de plus en plus de filles ont opposé un refus catégorique au mariage arrangé. Ce système reposait principalement sur l’obéissance des enfants et leur entière dépendance… Mes parents ne pouvaient compter ni sur l’un, ni sur l’autre.

Loin, très loin, d’abandonner pour autant l’espoir d’arranger un mariage, je me vois régulièrement proposer de rencontrer de parfaits inconnus pour me marier et avoir des enfants avec eux… Je dirai que c’est le lot de la majorité des Soninkés. Je n’ai en effet jamais rencontré d’adultes soninkés sans qu’ils essayent de me caser. Du haut de mes 24 ans, je suis déjà trop vieille selon leurs critères. Mais surprise, je le suis aussi selon les critères français, voir occidentaux. On m’accorde certes de ce côté-ci un léger délai jusqu’à mes 30 ans. Cet âge passé, je ferai mieux de m’exiler sur une île déserte si je ne suis pas encore mariée. Parce qu’il y a une véritable pression sur les jeunes femmes pour qu’elles se marient. Chez les Soninkés, elle prend une forme brute et criante. On te le dit franchement, quitte à t’harceler quotidiennement. Sur ce chapitre, ma mère si prend aussi bien que Mrs Bennet. Par contre, chez les Français, si la notion de consentement et d’amour est respectée de manière sacro-sainte (c’est déjà ça), la pression est aussi présente. 

Elle revêt une forme, plus insidieuse, plus hypocrite. Où l’on te fait culpabiliser et on remet en cause ta valeur de femme au nom de ton bien et de ton bonheur. Quoiqu’on en dise, le mariage, aussi laïque soit-il devenu, n’est certainement pas devenu une simple formalité administrative. Il est un passage obligé, une sorte de consécration vers laquelle tend le destin de la Vraie Femme. La Madame Tout-le-Monde : « La femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme » (King Kong Théorie, Virginie Despente). Si tu la cherches, tu la trouveras facilement dans les films, les magazines et les pubs. Et si tu fais bien attention, tu verras que l’étoile la plus importante à son palmarès, c’est le mariage. Je dirais même que quasiment toutes les autres qualités ne sont requises que pour aboutir au mariage.

Même si les comédies romantiques elles-mêmes ont, sous l’effet du discours féministe, réduit la dose de mariage dans les scénarios, l’ombre du « will you marry me ? » plane encore. On l’a juste substitué par la notion plus moderne de concubinage, qui oscille entre la pas-encore-marié-par-choix et le prêt-à-se-séparer-à-la-demande. Derrière la promotion bienveillante des couples libres, le mariage demeure la préoccupation principale des femmes. On a changé le chemin qui mène au mariage, mais il reste le but à atteindre. Parce qu’en réalité, le mariage n’est au final qu’une manière de faire couple. Une manière à la signification sociale, religieuse et culturelle lourde, mais tout de même une simple manière de faire en couple. Mettre de côté la robe blanche représente donc une concession facile, tant qu’on conserve l’importance pour la femme d’être en couple. Il s’agit encore et toujours de rendre les dépendantes des hommes.

En vérité, il n’y a pas de problème entre la femme et le mariage. L’aspiration à vivre en couple est un désir inné de l’être humain, peu importe son sexe. Le réalisateur J.A.C. Redford, disait que « L’esprit humain a besoin qu’on lui raconte de belles histoires […] La recherche de l’amour fait parti de ces histoires éternelles. » À cet égard, celle d’Elisabeth Bennet et de Mr Darcy fait beaucoup rêver… Il s’agit d’un homme et d’une femme qui s’aiment et qui s’engagent à s’élever mutuellement et à fonder une famille ensemble (avec ou sans enfant). Quoi de plus beau ? Leur union n’est motivée que par l’amour. 

Le mariage devient problématique uniquement lorsqu’il est motivé par autre chose : situation sociale, sécurité financière, peur de la solitude… Ces motifs conduisent d’une part, les femmes à courir après le mariage et/ou les hommes, vu comme la condition indispensable au bonheur. De l’autre, ces mêmes motifs amènent la société à exercer des violences, parfois physiques, souvent psychologiques sur les femmes. Le problème est donc la pression mise sur les demoiselles au nom du mariage, et plus largement des relations amoureuses. Chez les Soninkés et les Français, il y a l’idée qu’une vraie femme est complète qu’en couple. Avec la certitude en arrière-fond, héritée de l’utilité procréatrice du mariage, qu’il y a une date limite pour se marier lorsqu’on est une femme. Quoi de mieux pour développer un sentiment d’urgence chez la gente féminine ?
Il est donc important de se rappeler d’une chose : ce n’est ni à sa relation amoureuse, ni d’ailleurs à toutes autres « possessions » que ça soit ses diplômes, son travail ou son salaire que se mesure la réussite d’un individu et son bonheur. Ces derniers se mesurent à notre capacité à vivre en paix avec nous-même et à répondre à nos besoins. Du moins, si on veut que le mariage reste une belle histoire…

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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