Chapitre 27 : Le sang de ma mère

Après le feutre, il y a eu le serre-terre dorée, puis des pièces sur le buffet… Le rouge à lèvres aussi et bien d’autres objets subtilisés discrètement, par-ci par-là. Plusieurs fois, je me suis jurée de ne plus recommencer, quand ma crainte venait me nouer l’estomac au moment de partir. Et si un soir, Madame Nesraki m’arrêtait devant le palier et me demandait de vider mes poches ? Cette pensée m’effleurait, à chaque fois qu’elle m’appelait. Mais tous les soirs, au contraire, il ne se passait rien de tel. Madame Nesraki me souriait, me cajolait sous le regard perfide de Nadia et refermait la porte derrière Maman et moi. Je palpais alors l’objet de mon larcin dans ma poche afin de savourer pleinement ma victoire. Un jour, enhardis, je dérobais son bracelet en perles. Je le trouvais tellement beau ! Sa beauté me frappa, dès ma première rencontre avec Mme Nesraki. Elle ne le quittait que pour aller dormir. Il était évident qu’elle remarquerait sa disparition, mais à cela je n’y pensais guère. J’avais tant de fois pioché dans sa boîte à bijoux que mon geste se dénuait de toute folie à mes yeux.
Dois-je vraiment revenir sur ce chapitre de mon histoire ? J’aimerai tant l’oublier. Mieux, qu’il n’est jamais été écrit. Le faire disparaître, ou alors le cacher à la face du monde entier. Mais à quoi bon à présent ? Les coups, les reproches et les cris se sont déjà abattus sur mon dos. Il ne m’en reste que la gêne et le désarroi, dont le vacarme ne cesse pas en dépit du temps écoulé.
Maman ne s’encombra pas longtemps de questions. Quand elle découvrit au fond d’une chaussette, quelques une des babioles que j’avais volé, elle me saisit par les cheveux en hurlant.
—Qu’est-ce que c’est que ça Maï ?! Maï, qu’est-ce que c’est que ça ?!
Elle me secoua jusqu’à me décrocher la tête. « Maï, réponds-moi ! Qu’est ce que ça fait là !? » Sa voix me suppliait autant qu’elle m’invectivait. Je cherchais désespérément une réponse à lui offrir. Je ne savais soudain plus pourquoi j’avais pris toutes ces affaires. J’en avais oublié la plupart. Maman me frappa, encore et encore, au rythme de ses imprécations. Des claques sur la joue, puis sur le sommet du crâne et les bras. Puis le dos et de nouveau le crâne. Elle frappa partout, dans tout les sens. Je me protégeais faiblement, accroupie, le visage blottit dans mes bras, sans songeais à m’enfuir et encore moins à appeler à l’aide. Quand je la sentais faiblir, je risquais un coup d’oeil. À peine apercevait-elle mon visage, que la raclée reprenait de nouveau, avec plus de vigueur. La rage féroce qui s’abattait sur moi dépassait mon entendement. Il y a quelques secondes, j’étais assise là, sur le sol à dessiner. J’hésitais entre colorier la robe de ma princesse en bleu ou en rose. Et à présent, ma mère m’injuriait et me rossait de toutes ses forces. Plus elle me tapait, plus la scène devenait absurde. Je m’en détachais, comme étrangère à moi-même. Que se passait-il ? Je m’habituais à la douleur. Oui, en fermant les yeux, et en acceptant que cette douleur ne s’arrêterait jamais, je l’accueillais sans surprise. Tout cessa brusquement.
Maman s’assit lourdement au sol, à côté de moi. Elle était essoufflée. Le visage défait par la colère, elle continuait à marmonner, la salive écumante et les yeux exorbités. Elle aussi se sentait bouleversée. On se dévisagea, comme deux inconnus.
—Pourquoi t’as fait ça ?
Je cherchais une réponse en vain. Elle s’impatienta de nouveau.
—Réponds ! Pourquoi ?
—Je… Je voulais juste jouer avec… J’allais les rendre… reniflais-je.
Elle secoua la tête avec tristesse. Mes larmes séchées, j’hésitais à me redresser complètement. Je craignais d’exciter sa colère, en passant trop vite à autre chose. J’attendais qu’elle se lève et parte, mais elle continuait à secouer la tête et à regarder dans le vide. Au bout de quelques minutes, Maman récupéra ma chaussette pleine de mes larcins, et sortit les objets un à un. Quand elle en vint au bracelet en perles, elle le fit tourner entre ses doigts.
—Tu sais que c’est à cause de ça que Madame Nesraki à dénoncé Patouné Radji à la police. Tout est de ta faute.
Sur cette déclaration lapidaire, elle se leva. « Apporte dans ma chambre tout ce que t’as volé, et tu as tout intérêt à ne rien oublier. » Maman emporta ensuite avec elle tout mon petit butin, et m’abandonna à mes tourments.
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