C’était mon histoire

C’était mon histoire

Bintou Fofana.

Bintou sourit en voyant son prénom sur la couverture d’un livre. Elle avait étiqueté et classé 1 423 livres de la médiathèque selon sa fiche employée sur la plateforme municipale de Bagnolet. Or, c’était bel et bien la première fois qu’elle voyait son prénom, pourtant si courant dans les environs, sur un livre. En plus, un beau livre à la couverture brillante et colorée où une jeune fille ressemblant à sa petite sœur lui tirait la langue. Elle caressa de sa main l’image effrontée, puis retourna l’ouvrage pour en découvrir la présentation de l’autrice.

Bintou Fofana. Bloggeuse afrofeministe. Née à Bobigny en 1997.

Cette écrivaine était donc plus jeune qu’elle. Elle était née à quelques arrêts de bus et elle avait son nom écrit sur un livre. « Ça aurait donc pu être moi. » Bintou murmura ces mots en elle-même de manière si insidieuse qu’elle n’en eut pas tout à fait conscience. Elle ressentit surtout une profonde tristesse et une envie de faire disparaître à jamais ce livre où il aurait dû avoir son nom.

 

Petite fille, Bintou avait rêvé de devenir écrivaine.

Elle avait remporté le premier prix au concours d’écriture organisé entre les classes de 6ème du secteur. Le jury avait loué la prose quasi musicale d’une jeune élève. « Nous sommes face à une écrivaine en herbe », avait déclaré fièrement Mme Belle devant l’assemblée réunie. Tout le monde avait applaudis à ces mots. Il n’en fallait pas plus pour décider Bintou. Elle serait écrivaine, d’autant plus qu’elle avait aimé inventer son histoire d’amour pour le concours. Elle finirait peut-être sur les étagères d’une bibliothèque. Bintou imagina sans peine tout  une rangée de la bibliothèque municipale consacrée à ses livres, juste après ceux de Nathalie Sarraute.

La jeune fille s’était précipitée chez elle, mue par un enthousiasme peu commun pour ceux qui avaient coutume de la voir marcher en rêvassant.

« Regarde Fatou ! J’ai gagné le concours du collège ! » Elle accompagna ses paroles de son certificat de réussite et de son bon d’achat valable sur les produits culturels qu’elle colla au visage de sa sœur. Cette dernière, en pleine préparation du dîner, soupira de perdre de vue la marmite.

« Premier prix d’écriture, blablabla. Blablabla, cent euros à dépenser dans votre librairie favorite. En gros, tu vas encombrer la chambre d’encore plus de livres. »

Habituée à ce reproche, Bintou l’entendit à peine et lui annonça sur le même ton solennel que Mme Belle plus tôt :

« Je vais devenir écrivaine.

—Ok, J-K Rowling,  ça tombe bien va aider Aïssatou avec sa poésie à apprendre », s’esclaffa Fatou.

Déçue, Bintou se dirigea vers la chambre de ses frères, en se jurant de ne plus jamais parler à sa sœur. Ses frères, happés par leur partie de Soul Calibur, ne remarquèrent Bintou que lorsqu’elle se dressa devant la télévision son certificat tendu vers eux.

« Mais, casses-toi !

—Mais, j’ai dit que j’ai gagné le concours d’écriture du collège !

Avec un agacement mieux dissimulé que celui de Fatou, ses frères firent mine de lire son prix.

—Bravo, trop bien !

—Waou, le petit génie de la famille, popopo. Tu feras mes dissertations à ma place maintenant.

—Maintenant, pousse-toi, » dit Mamadou en la tirant dehors.

Elle ne put leur crier qu’elle voulait devenir écrivaine que derrière la porte de leur chambre fermée à clef. Bintou aurait insisté pour rentrer, si elle n’avait pas entendu des applaudissements. C’était Aïssatou. Elle était fière de sa grande sœur. Elle voulut voir les prix et savoir comment on devient écrivaine. Bintou ne sut que répondre à sa petite sœur. Elle ne s’était même pas posée la question jusqu’ici.

 

Vers 22 heures, quand sa mère rentra du travail, c’est Aïssatou  qui brandit fièrement les prix de Bintou en guise d’accueil.

« Bintou a gagné, regarde Ma ! »

Le manteau encore sur le dos, elle s’assit et plissa les yeux.  Elle cherchait le prénom et le nom de sa fille, entre tout tous ces mots indéchiffrables.

« Attends, je vais te lire déclara Aïssatou. Il y a écrit, le premier prix-se ésse-t, ésse-t… Comment tu lis ça, Bintou ?

—Est.

—Le premier prix-se est décque-décque-décque

—décerner, reprit Bintou.

—Décerner à Bintou Soumaré ! »

Un sourire illumina le visage de leur mère à l’évocation du prénom. Elle mit son doigt sur le prénom calligraphié à la main et répéta : « Bintou Soumaré. Mash’Allah Bintou. Qu’Allah t’accorde la réussite. Aïssatou, toi aussi tu dois bien travaillé comme ta sœur. Elle s’est sûre, elle va travailler dans un bureau où elle sera assisse.

—Non, Ma. Bintou veut devenir écrivaine.

—C’est quoi, ça ?

—C’est écrire des livres.

Après une courte réfléxion, leur mère dit toujours dans son sourire :

—C’est bien, comme ça Bintou gagnera beaucoup d’argent et on aura plus qu’à retourner en Gambie.

—Non, moi j’veux pas aller en Afrique, s’offusque Aïssatou.

Leur mère rit de la moue boudeuse de sa fille et lui promit qu’elle s’y plairait plus qu’ici.

Elle accrocha ensuite le certificat et le bon d’achat sur le frigo pour que leur père le voie en rentrant du boulot. Bintou hésita récupérer ses prix et à les cacher loin du regard de ses parents. Etait-elle vraiment capable de devenir écrivaine après tout.

 

Amy

Écrivaine et Conceptrice de La Femme en Papier

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